vendredi 14 décembre 2007

Pas de fin au scandale des retraites

Plus original que le quartier adolescent de Shibuya (渋谷), ou le paradis de l’informatique d’Akihabara (秋葉原), Sugamo (巣鴨), près de la gare du même nom sur la ligne Yamanote (山手), est le repaire des personnes âgées à Tokyo. Il permet des promenades dépaysantes quand on est saturé du Tokyo jeune et branché. Dans la rue principale, les magasins de sembei (煎餅, galette de riz) et de daifuku (大福, patisseries japonaises) succèdent aux boutiques de vêtement de grand-mère. La rue est animée, mais les bâtiments défraîchis et les vitrines vieillottes ne respirent pas l’opulence.
Pour ces personnes âgées modestes, l’annonce par le gouvernement en mai dernier de la perte de 65 millions de dossiers de retraite a été un choc. Plus exactement, 65 millions de dossiers, représentant des cotisations et des droits à la retraite, sont « orphelins » et ne peuvent être mis en relation avec leurs ayant droits. Donc, certaines personnes âgées ne reçoivent pas toute la retraite à laquelle ils ont droit. Pour corriger la situation, ils doivent parfois présenter des documents vieux de plusieurs décennies.
Cette erreur monumentale est d’abord due à un retard important de l’administration japonaise. La France a assigné à chaque individu un numéro identifiant unique dès la création de la sécurité sociale en 1945 et a procédé à l’informatisation des fichiers en 1970. Au Japon, ces deux étapes n’ont été accomplies qu’en 1997. Avant cette date, tous les dossiers étaient identifiés par le nom, le prénom, la date et le lieu de naissance. Ceci est imprécis à cause des risques d’homonymie, et d’erreur de transcription des kanjis (qui peuvent avoir plusieurs prononciations). De plus, cela signifie que plusieurs dossiers peuvent être ouverts pour la même personne si elle a changé d’employeurs, augmentant encore le risque d’erreur. Enfin, certains dossiers sur papier ont évidemment été perdu ou sont devenus illisibles. Lors de l’informatisation en 1997, certains dossiers orphelins ont été incorrectement traités, ou tout simplement oubliés.
Le sujet a été enterré par l’administration et le parti au pouvoir (自民党, parti libéral démocrate) jusqu’à ce qu’il fasse surface au début de mai 2007 lors de questions de l’opposition (民主党, parti démocrate) à l’assemblée nationale japonaise, et devienne un scandale national. Cela a été par la suite une cause majeure de la défaite du parti majoritaire à l’élection de la chambre haute le 29 juillet 2007 et de la démission du premier ministre Shinzo Abe le 12 septembre 2007. Lors de la campagne électorale, le parti au pouvoir s’était ainsi engagé à identifier tous les dossiers orphelins avant la fin du mois de mars. Les dossiers ainsi identifiés seraient attribués à leurs propriétaires, qui auraient vu leurs droits à la retraite rétablis automatiquement.
Le 12 décembre, le gouvernement a annoncé que 19 millions de dossiers ne pourraient finalement être correctement traités, car les ayant droit sont morts, ont changé de nom suite à un mariage, ou ont un nom incorrect dans le système informatique concerné. Ces personnes devront donc entreprendre des démarches spécifiques pour faire valoir leur droit. Le ministre de la santé Yoichi Masuzoe a refusé de s’excuser. Il considère que la promesse faite pendant la campagne électorale n’oblige pas à un résultat, et exprime seulement leur volonté à mettre tout en œuvre pour résoudre le problème. La démission du ministre a logiquement été demandée par l’opposition hier, sans suite pour l’instant.

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