J'ai eu la chance de travailler sur un projet de grande ampleur dans la filiale japonaise d’une multinationale anglo-saxonne. Ce fut une expérience remplie d’imprévue, vite transformée en une lutte entre les managers occidentaux et les employés japonais. En tant que ‘latin’, et un des seuls occidentaux parlant japonais, j’ai souvent été considéré ‘neutre’ dans les luttes de pouvoir, et j’ai servi de confident tout à tour aux occidentaux et japonais. Cette position m’a permis de prendre du recul, et d’établir quelques enseignements clés qui me seront très utiles la prochaine fois. J’espère qu’ils pourront être utile à d’autres cadres mutés au Japon.
Leçon 1 : Partez avec des objectifs réalistes.
Vous pouvez être un cadre très efficace en Occident. Mais il est probable que vous passerez énormément de temps à convaincre vos employés japonais que vos idées sont juste. Ce cap passé, l’implémentation pourra être beaucoup plus lente que prévue, et dans certains cas, ne progressera pas du tout. Tant qu’ils ne sont pas au pied du mur, vos employés japonais accepteront très difficilement de changer leurs méthodes de travail. Ils parieront peut-être sur le fait que vous n’êtes là que pour deux ou trois ans, alors qu’ils resteront plus longtemps. Ils seront donc plus enclins de préserver leurs relations avec leurs collègues et leurs clients que de vous aider. Il me semble donc raisonnable de baser vos objectifs sur ce que votre prédécesseur a réussi au Japon, pas sur ce que vous avez réussi en Occident. Dans la plupart des situations, il est réaliste de limiter ses objectifs à l’implémentation de changement consensuel et incrémental, la correction d’inefficacités criantes, et une meilleure visibilité sur les opérations japonaises.
Leçon 2: N’acceptez qu’un poste avec du pouvoir
Les occidentaux et les japonais travaillent rarement de façon efficace ensemble, les façons de penser et les réflexes étant très différents. La communication est souvent très difficile à cause de la traduction. De façon tout à fait rationnelle, la plupart des japonais préfèreront vous laisser dans un placard, et continuer à gérer leurs affaires entre eux. Ils pensent en effet qu’ils perdront plus de temps à vous impliquer dans les décisions que ce que vous pouvez leur apporter. Ils ont aussi peur que vous cassiez les relations et l’organisation qu’ils ont mis en place. Si vous êtes satisfait par deux ans de congés payés au Japon, cela est parfait pour vous. Toutefois, si vous voulez agir, vous devez vous assurer que votre poste est conçu pour que vous soyez dans la boucle de toutes les décisions. Vous pouvez avoir le contrôle du budget, vous pouvez aussi avoir une connaissance technique absolument indispensable à vos collèges. Dans cette situation, vous n’aurez pas à vous préoccuper d’être impliqué dans le travail de vos collègues japonais, comme ils ont besoin de vous.
Leçon 3: N’espérer pas être cru sur parole parce que vous êtes occidental
Les entreprises occidentales, en particulier anglo-saxonnes sont parmi les plus efficaces et innovantes. Certains cadres occidentaux pensent que leur façon de travailler est indiscutablement la meilleure, et s’attendent à ce que les japonais l’admettent, les écoute, et adoptent les méthodes occidentales. Ce sentiment est souvent renforcé par la difficulté des japonais à s’exprimer en anglais, et à expliquer de façon convaincante leurs idées. La version japonaise de l’histoire est évidemment différente. Les employés japonais sont très fiers de la réussite industrielle de leur pays : ils ont construit la deuxième économie mondiale dans un pays exigu, et ils ont probablement réussi la transition la plus rapide d’un pays féodal à un pays moderne. Les japonais pensent aussi souvent que leur société est plus harmonieuse. Nous pourrions débattre pendant des heures des mérites comparés de l’occident et du Japon, Il est toutefois certain que dans certains domaines, le Japon est au moins aussi compétitif que les pays d’Europe et d’Amérique du Nord, et ceci en utilisant des méthodes japonaises. L’exemple évident est celui de l’industrie automobile. Les employés japonais ne seront pas prêt à vous croire sur parole, et discuteront toujours vos idées. Il vous sera donc toujours nécessaire d’écouter vos employés, et de les convaincre que vos idées sont juste, et surtout, adaptées au marché japonais.
Leçon 4: Adaptez vous au marché japonais
Les locaux exagèrent souvent les spécificités du Japon, mais il existe des différences objectives avec l’occident, qui se réduisent souvent aux points suivants :
- Les logements sont étroits, et le terrain est rare, les habitants adaptent donc leur mode de vie en conséquence. Les exemples les plus courants sont les courses alimentaires quotidiennes au Japon, les logements ne permettant souvent pas de stocker une semaine d’alimentation. Les petites voitures sont les plus populaires car adaptées aux routes très étroites.
- Les japonais ont des goûts très sophistiqués. Tokyo se mesure aisément à Paris, New York, Londres ou Milan pour la gastronomie, la mode et la vie nocturne. Tokyo compte ainsi maintenant plus d’étoiles Michelin que Paris. Il n’y a pas forcément de marché au Japon pour des produits de second choix.
- Le service est d’excellente qualité. Les expatriés citent toujours l’exemple des distributeurs de billets fermés le week-end comme preuve d’un service médiocre, mais je pense que c’est l’exception qui confirme la règle. J’ai habité au Japon, aux Etats-Unis, en Belgique, au Royaume-Uni et en France, et j’ai toujours trouvé le service meilleur au Japon. Cela est vrai comme client de restaurants, d’hôtels, d’agences de voyages, d’entreprises de déménagement, de compagnies de téléphone, et même d’agent immobiliers. C’est aussi vrai pour les services internes des entreprises. Je regrette tous les jours la secrétaire très efficace qui résolvait tous les petits problèmes sur le projet. Evidemment, tout ceci a un coût, et les produits doivent souvent être beaucoup plus complexes pour fournir la qualité de service désirée. Cela peut être coûteux, mais c’est souvent le seul moyen de faire des affaires au Japon.
Passer de longues soirées au travail en occident est souvent considérés comme inefficace. Les gens brillants sont supposés capables de s’organiser pour terminer leur travail dans les temps. C’est probablement vrai, mais cette façon de penser a aussi ses limites. En creusant un peu, on s’aperçoit souvent qu’un travailleur autoproclamé efficace rentrant chez lui à 6 heures du soir cache souvent un subordonné ou un sous-traitant qui passe sa soirée au travail pour compenser, et une rhétorique très élaborée pour refiler à des collègues les tâches les plus ardues. Les japonais respectent en général le travail et les longues soirées au bureau. Pendant mon séjour au Japon, j’ai pu suivre les parcours d’une vingtaine de cadres occidentaux de haut niveau. Ceux qui ont réussi étaient toujours les plus travailleurs, même s’ils n’avaient pas forcément le plus d’expertise ou d’expérience. En restant de longues heures au travail, ils gagnaient le respect de leurs collègues japonais, ils avaient le temps de peaufiner les détails, et ils étaient au bureau quand les décisions se prenaient le soir. La réunion la plus efficace du projet fut une session durant 14 heures, commencée vers 16 heures et se prolongeant jusqu’à 6 heures du matin le jour suivant, et pendant laquelle tous les détails d’un contrat important furent discutés. C’est un cas extrême, mais vous devez être prêt à finir votre travail régulièrement entre 21 et 23 heures. Une bonne hygiène de vie est sans doute de prévoir des soirs de semaines chargés, mais de garder votre week-end pour vous et votre famille.
D'autres points ont été développés dans un second article.
Note: Les clichés illustrant ces articles ont été choisi uniquement pour leur esthétique. Je n’ai travaillé dans aucun des immeubles figurant sur ces clichés et les conseils donnés dans l’article ne sont donc pas basés sur des sociétés domiciliées dans ces immeubles.