dimanche 29 novembre 2009

L'or de Kanazawa

«Un long tunnel entre les deux régions et voici qu'on était dans le pays de neige. L'horizon avait blanchi sous la ténèbre de la nuit. Le train ralentit et s'arrêta au poste d'aiguillage. ”. L'écrivain Kawabata commence par ces phrases Yukiguni (雪国), le “pays de neige”, un des plus célèbres romans japonais du dernier siècle. Aujourd'hui, le confortable Shinkansen (新幹線) rempli de skieurs a remplacé le train de nuit à vapeur, mais l'on est toujours surpris en quittant Tokyo sous le soleil de se trouver brutalement, après un tunnel, dans un paysage blanc. Après avoir changé le train, on parcours ensuite une longue vallée où les voies longent parfois des pistes de ski avant de rejoindre la plaine de la mer du Japon et d'arriver à Kanazawa, (金沢) la ville des «  ruisseaux d'or ».

La ville a la réputation d'être un petit Kyoto. Comme sa grande soeur, elle dispose en tout cas d'une superbe gare moderne. Et comme la ville du Kansai(関西), c'est d'abord une métropole vivante, avec ses avenues, ses néons et ses grands-magasins. Vous ne serez donc pas déçu d'y retrouver aussi ce béton fonctionnel et peu esthétique qui constitue l'essentiel des villes japonaises. Mais la cité a eu aussi la chance de ne pas être bombardée par les américains lors de leurs campagnes incendaires de la seconde guerre mondiale: il est amusant que les occidentaux se plaignent souvent du manque de quartiers traditionnels dans les villes japonaises alors qu'ils en sont en grande partie responsables. Kanazawa a pu garder intact de nombreux vestiges des derniers siècles. Je conseille aux voyageurs de passage dans la ville d'oublier dès la sortie de la gare le parallèle avec Kyoto, qui pourrait décevoir.

En partant de la gare, vous pouvez rejoindre les quartiers touristiques en descendant pendant une dizaine de minutes la vaste avenue qui se trouve face à vous, jusqu'au carrefour de Musashi. A mi-chemin sur la gauche se trouve la rue commerçante de Yokoyasuecho(横安江町), qui rassemble les boutiques « bobos » version japonaises: les patronnes y cultivent souvent le style « entrepôt chic », le béton nu est un favori: on y vend des accessoires souvent hétéroclites, allant des serviettes aux petites poupées, dont le seul point commun est qu'ils sont au goût de la propriétaire, souvent une femme au foyer qui tient boutique plus pour se distraire, et se créer son petit monde, que pour gagner de l'argent. C'est une partie moderne, et plutôt calme, de la ville. Au carrefour, face à vous se trouve le marché de la ville, mais vous pouvez aussi prendre à droite la grande avenue descendant vers la ville qui est le coeur du Kanazawa moderne. C'est là que se trouvent la plupart des commerces et grands magasins.

Le marché couvert d'Omi-cho (近江町市場) propose les produits locaux, dans une ambiance populaire sympathique. En saison (février et mars), les délicieux crabes géants sont la vedette incontestée. J'y ai dégusté de bons matin de délicieuses huitres juste cuites sur la braise par un marchand qui y avait installé un petit barbecue. Les poissons de la mer du Japon sont également réputés, et c'est pour cela que la ville est une des capitales du sushi au Japon. Un petit restaurant de sushi tenu par un chef de près de 80 ans, mérite le voyage pour la qualité des ingrédients, et la créativité, notamment une anguille assaisonnée d'un zeste de citron et de poivre. Il n'est pas rare que des gourmets et hommes d'affaire fassent le détour depuis Tokyo ou Osaka pour y déjeuner, à l'instar des « TGV Bocuse » du début des années 80 en France. Outre le poisson et les crustacés, la ville est aussi célèbre pour la qualité de son riz et de son Nihonshu, appelé « Sake » par les occidentaux. Au nord-est du carrefour de Musashi se trouvent deux boutiques célèbres: Fumuroya vend des petits gateaux de protéines de gluten de blé appelés Fu (麩), délicieux si bien préparés, et Tawaraya vend des confiseries japonaises traditionnelles, où le sucre est réduit en poudre. Dans les deux cas, on achète autant le goût, que la forme des aliments, préparés avec art. Ce quartier est celui des marchands, et de nombreux magasins sont encore dans des bâtiments en bois traditionnels.

Après une visite au marché, on peut rejoindre le château par de petites rues à flanc de collines. Le château de Kanazawa (金沢城) était un des plus vastes du Japon depuis sa construction au 15è siècle par le noble local, un des plus importants du pays. Il fut toutefois brûlé plusieurs fois, la dernière à la fin du 19è siècle. Dans la grande tradition japonaise des reconstructions après les catastrophes, une des ailes du château a toutefois été remarquablement restaurée avec les techniques de l'époque en 2001. La forme en losange a obligé les charpentiers à travailler les poutres dans une forme improbable, une prouesse technique.
A proximité du château se trouve le jardin de Kenrokuen (兼六園), qui était à l'origine le jardin extérieur du château. Les japonais adorent les classements, et ont décidé que ce parc faisait partie de la liste officielle des 3 plus beaux jardins du Japon (avec un celui de Mito, au nord de Tokyo, et celui d'Okayama). Les jardins japonais sont souvent petits, mais celui-ci, avec ses 10 hectares, a la surface d'un grand parc européen. Il est en particulier célèbre pour les structures de soutien en forme de parapluie (yukitsuri) des pins vénérables bordant l'étang qui leur permettent de supporter le poids de la neige en hiver sans rompre les branches. On raconte que l'étang devait surtout servir de réserve d'eau pour les douves du château, et qu'il était possible de le vider en quelques heures en cas d'urgence pour remplir les douves. Le parc comprend aussi des vergers, des étangs et des chutes d'eau.

Le quartier a proximité du parc de Kenrokuen est très agréable, car l'on est entouré par la verdure, ce qui est très rare dans les villes japonaises toujours exigues, où le moindre espace est utilisé. La ville a construit dans un des jardins un sympathique musée d'art moderne, le musée du 21ème siècle (21世紀美術館), dont la vedette est une piscine permettant de se promener sous l'eau. Une autre installation impressionante est une pièce sans toit complètement vide, qui permet d'admirer le ciel, souvent couvert, de la région. Le musée, qui faisait sans doute partie d'un des plans de relance de l'économie dans les années 90, offre une visite agréable. On ne peut toutefois s'empêcher de se demander si ce somptueux bâtiment, néanmoins très intéressant, était nécessaire dans un pays déjà sur-endetté.

En revenant vers l'est, on peut, après avoir traversé la grande avenue commerçante, rejoindre le quartier de « Nagamachi Buke Yashiki » (長町武家屋敷). A l'image du quartier de Yamanote (山の手) sous le Shogunat à Tokyo, tous les nobles de la région, appelée alors « Kaga », habitaient dans la ville de Kanazawa. Il leur était attribuée une parcelle de terrain en fonction de leur revenu, un samurai moyen recevant environ 800 m2. Entouré par deux petites rivières, l'endroit a gardé de belles rues avec des murs traditionnels entourant les vastes propriétés. Même si les constructions, pour la plupart du début du 20ème siècle, ne sont pas si anciennes; l'on se sent transporté pour quelques minutes dans l'âge des samurais et autre geishas, jusqu'à ce qu'une petite camionette chargée de gravats, ou une lycéenne beuglant dans son téléphone portable vienne malheureusement rompre le charme de l'endroit.

Pour retrouver le passé, on peut aussi rejoindre un des quartiers des plaisirs en périphérie de la ville historique. Ceux-ci comprennent des rues remarquablement conservées, dont la célèbre « Higashi-Jaya », qu'il faut regarder dans la bonne direction: une extrémité en est occupée par une boutique de coiffure des années 50 désaffectée qui rompt complètement le charme, alors que l'autre extrémité ouvre vers une plus esthétique colline. Ces quartiers datent du 17è siècle, époque où Kanazawa était la plus riche ville de province du Japon, grâce aux récoltes abondantes de riz, plus qu'aux mines d'or qui lui ont donné son nom.
Il ne reste par contre que peu de traces d'un épisode original de l'histoire de la région: Le « royaume paysan » de Ikko-ikki (一向一揆) , quand des moines de la secte bouddhique du même nom et des paysans ont pris le pouvoir à un clan affaibli lors d'une révolte populaire, et établi une république teintée de théocratie qui a duré une centaine d'années; jusqu'au début de l'unification du Japon par Toyotomi Hideyoshi.

Détails pratiques

Accès depuis Tokyo: Shinkansen MaxToki (Maxとき) jusqu'à Echigo Yuzawa(越後湯沢), puis express limité Hakutaka ( 特急はくたか), 4 heures, environ Y12410 (95 Euros), réservation recommandée

Accès au jardin Kenroku-en: de 8 à 17h en hiver (mi octobre à fin février) et de 7 à 18 heures le reste de l'année. Y300 par personne (2.5 Euros). (site en anglais : http://www.pref.ishikawa.jp/siro-niwa/kenrokuen/e/)

Accès au château: le jardin est ouvert aux mêmes horaires que le Kenroku-en. L'aile rénovée du château (Hishiyagura) se visite tous les jours, de 9 à 16h30 (dernière entrée à 16 heures) Site en anglais: http://www.pref.ishikawa.jp/siro-niwa/kanazawajou/index_e.html

Musée du 21ème siècle: Ouvert de 10 heures à 18 heures sauf le lundi, Entrée: Y 800 (6 Euros), site en anglais http://www.kanazawa21.jp/en/

Boutique et restaurant Fumuroya (不室屋) service de déjeuner de 12h à 14h et salon de thé de 14h à 15h30. Fermé le dimanche.

Restaurant de sushi gastronomique Komatsu Yasuke (小松弥助), ouvert tous les jours de 11h30 jusqu'à épuisement du stock (souvent autour de 15 ou 16 heures), réservation de rigueur. Tel: 076-261-6809, Adresse: Apa Hotel Rez de Chaussée, Ikeda-Cho 2-21-1, Kanazawa (石川県金沢市池田町二番丁21-1 アパホテル 1F), prix autour de Y10.000 (75€) par personne, fermé le mardi et le mercredi


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