lundi 10 mai 2010

Jardins éphémères de quartiers désuets

Les villes japonaises comprennent toutes leur bas quartier, appelé Shitamachi (下町). Une classe populaire, souvent agée y vit, avec ses magasins désuets, ses cantines, et ses rues commerçantes qui se dépeuplent peu à peu, souvent affublées du nom un peu pompeux de Ginza (銀座). On les appelle « Shutter-gai » (シャッター街), les rues des volets fermés. Ces jardins, soumis à l'imagination de leur propriétaires, sont changeants. Ils le sont aussi car ces quartiers à la population âgée sont probablement en train de disparaître. Ils seront remplacés par de grands immeubles offrant des appartements confortables, sûrs, avec des parkings et des terrasses qui se couvriront aussi certainement de pots de fleur, mais l'atmosphère sera différente.
Les habitants de Shitamachi sont certainement modestes, mais intégrés dans la société. La délinquance y est quasiment inexistante. Il n'est pas rare que les portes soient entrebâillées sur la rue, et que les commerçants s'absentent dans l'arrière boutique de leur magasin en laissant leur boutique ouverte. Je leur suspecte parfois de faire la sieste, surtout par les lentes après-midi de plein été. L'atmosphère y est plutôt joyeuse, et l'on discute parfois de sa fenêtre directement avec les voisins aussi restés chez eux du temps, ou des derniers racontars du village. Il faut dire que la maison suivante est parois à 30 centimètres de celle des voisins: on pourrait se passer le sel de fenêtre à fenêtre.
Ces jardins sont conçus autour de petits espaces. Il s'agit parfois seulement de bordures d'une dizaine de centimètre de large autour des maisons, et, pour les plus ambitieux, un petit lopin de cinq mètres carrés. Certains créent aussi une petite terrasse en ferraille sur le toit de leur maison. Il s'agit alors d'aménager au mieux, en installant de nombreux pots de fleurs, parfois à même le trottoir. On trouve parfois d'anciennes baignoires pour bébé ou d'autres récipients de plastiques originaux. Les pots sont parfois protégés de bouteilles en plastique transparentes remplies d'eau qui effraient les chats qui pourraient sinon renverser les plantes. Les habitants y cultivent des plantes robustes comme les aloès.
Les jardins des temples japonais sont les plus connus à l'étranger, mais ces éphémères créations des allées des villes basses sont tout aussi touchantes. Elles rendent agréables des quartiers qui sont souvent un peu isolés et défraîchis. Ces quartiers sont maintenant le lieu de promenade privilégié des « bobos » japonais, et aussi parfois de l'auteur de ce blog.
Après plus de deux ans d'Uchimizu (打ち水), cet article est un bon endroit pour expliquer le sens de ce mot en japonais. Il s'agit en fait d'une coutume populaire japonaise que l'on rencontre encore fréquemment, en particulier dans les bas quartiers. Elle consiste à jeter de l'eau dans la rue en été, souvent en fin de journée, pour rafraichir l'atmosphère. Si cela n'a pas l'efficacité violente d'un air conditionné, l'énergie nécessaire pour évaporer l'eau fait effectivement baisser la température de quelques degrés.
Informations complémentaires

Les photographies de cet article ont été pris respectivement dans les quartiers de Tsukishima (月島 2 clichés) et Nakaya (中谷, 1 cliché) à Tokyo, ainsi qu'à Shimizu (清水) près de Shizuoka (2 clichés), et Kagurazaka (神楽坂), également à Tokyo (1 cliché).

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dimanche 2 mai 2010

A9 - Fabriquez vous-même du Japon au kilomètre

Le côté sombre le plus inavouable de votre serviteur est sa passion pour les jeux de gestion. Alors qu'il y a tant à faire par une belle journée de printemps, il m'arrive de perdre une journée entière à construire sur mon écran une ville ou un empire qui sera ensuite laissé dans l'oubli dans un coin sombre de mon disque dur. Les références du domaines sont les grands jeux américains Sim City ou Civilization, maintenant dans leur quatrième épisode. Alors que la qualité des films se dégrade en général avec chaque nouvel épisode, c'est en général le contraire pour les jeux vidéos: cela peut expliquer pourquoi je suis leur suis fidèle depuis une quinzaine d'années. J'ai plus de mal à suivre la série japonaise A-Train (A列車で行こう), maintenant dans son neuvième épisode (A9), car elle est peu distribuée en occident. Le jeu propose de construire une ville japonaise en dirigeant la compagnie de chemin de fer locale.
Le coeur de l'action est la construction d'un réseau de chemin de fer. Il peut-être à niveau, souterrain ou aérien. Si les épisodes précédents offraient des possibilités parfois trop limitées, cet épisode permet de réaliser les courbes les plus sensuelles et les ponts les plus audacieux. Les gares de la ville japonaise sont variées des quais de métro à la gare de banlieue surélevée, en passant par les grands cubes de béton intégrant quais de chemin de fer et grands magasins. Elles sont ici fidèlement reproduites, jusque dans les lignes jaunes sur les quais. Comme dans la réalité, la construction d'une voie ferre est hors de prix dans des zones trop urbanisées, quelques kilomètres de voies peuvent ruiner: la faillite arrive alors vite. On l'a oublié aujourd'hui, mais les chemins de fers ont été l'investissement spéculatif par excellence au dix-neuvième siècle et au début du vingtième siècle.
Au Japon, la plupart des réseaux se sont construits avant-guerre, à une époque où les villes étaient beaucoup moins urbanisées. Il faut construire au mieux au début, mais en ne voyant pas trop grand. Le réseau peut se compléter par bus et camions, idéales sur les petites distances, mais il est parfois nécessaire de compléter soi-même le réseau routier construit par les autorités.
Le chemin de fer doit ensuite être exploité au mieux. Cela consiste à acheter les bons trains, tous des reproductions fidèles des rames japonaises, et en faire circuler le plus possible sur le réseau aux bons horaires. La tâche tourne parfois au cauchemar. D'autant qu'il faut aussi faire circuler des trains de marchandises pour transporter des matériaux de construction qui permettront à la ville de se développer. En plus de votre empire ferroviaire, vous aurez à construire des usines produisant les fameuses plaques de béton pré-fabriquées qui sont la texture de base des villes du pays. Vous devrez aussi vous occuper des centrales électriques pour éclairer votre belle cité.
Mais l'on ne fait souvent pas fortune dans le train, et pour assurer le développement du réseau, il est nécessaire des développer des activités annexes, supermarchés, immeubles de bureaux, parcs d'attractions et cinémas, placés stratégiquement à côté des gares. C'est conforme à la réalité: les compagnies de chemin de fer, comme la Tokyu (東急) à Tokyo (東京), ou Shizutetsu (静鉄) à Shizuoka (静岡), construisent à proximité de leurs gares diverses commerces, donc certains sont des références dans la distribution: Tokyu Hands est ainsi un équivalent japonais du BHV. Un autre exemple célèbre est le “Tobu Dobutsu Koen” (東武動物公園) opéré par la compagnie de train Tobu (東武), qui s'arrange pour fait terminer un grand nombre de ses trains à cette gare, une publicité insistante à peu de frais.
Cette diversification permet dans le jeu, comme dans la réalité, de réaliser des opérations immobilières intéressantes, en achetant du terrain agricole à bas prix, à proximité des emplacements prévus pour les gares. Vous pouvez bien-sûr construire des hôtels ou des grands magasins, mais aussi des églises à mariage, une entreprise commerciale parmi d'autres au Japon. Les bâtiments construits se revendront beaucoup plus chers une fois la ville développée. Et c'est sans doute cette spéculation qui permettra à votre entreprise d'être rentable. Vous pouvez aussi gagner de l'argent en achetant des titres, un anachronisme qui date de la période de la bulle où il suffisait de placer de l'argent en bourse pour s'enrichir. Les actions japonaises valent maintenant moins d'un tiers de leur valeur au sommet de la bulle, en 1990.
Le jeu reproduit aussi fidèlement les mécanismes de prêt bancaires. Comme dans la réalité, la rentabilité des grosses infrastructures est trop lente, et il est complètement irréaliste d'attendre des revenus de votre entreprise un financement pour l'extension de votre réseau. Vous devrez donc emprunter aux banques, et surveiller de près vos remboursements. Tant que votre entreprise gagne de l'argent et surtout est en croissance, les emprunts ne posent pas de problèmes, mais quand la situation devient plus saturée, il conviendra d'être particulièrement prudent. Enfin, quand votre ville sera bien développée, et que votre entreprise sera riche, vous pourrez investir dans des grands projets: ports, aéroports, parcs d'attraction, et lignes de train à grande vitesse, ainsi que dans des monuments ou de grands buildings. Au total, ce sont plus de 120 différents bâtiments qui peuvent être construits.
Si le béton est international, les villes japonaises ont une atmosphère très particulière, même dans les quartiers modernes. La différence vient d'abord de la lumière: les belles journées au Japon sont plutôt hivernales, ce qui baigne le paysage urbain dans une douce lumière orangée souvent rasante, accentuée encore par la teinte presque jaune des pelouses. Le soir, tout est éclairé au néon blanc, relevé des lumières rouges clignotantes coiffant les plus hauts immeubles et de panneaux publicitaires colorés. Dans un pays où l'industrie du bâtiment est très industrialisée, les fausses briques ou carrelages en résine de teints variés forment la palette avec laquelle la ville se peint. Un peu plus loin, le siège de la multinationale n'est parfois qu'à cinquante mètre d'un groupe de petites maisons collées les unes aux autres. Plus loin du centre, maisons, appartements en préfabriqués, champs et grands immeubles d'habitation se mélangent, avec ça et là un restaurant de banlieue et son grand parking. Le jeu A9 a certainement des défauts, mais il permet de retrouver, comme autant de petites madeleines, de nombreuses sensations de la ville japonaise.
Informations complémentairesLe jeu A9 est édité par la société Artdink, et est en vente depuis février 2010 au Japon. Il n'est pas encore distribué hors du Japon. Les clichés de cet article ont été réalisés dans une ville construite par l'auteur de ce blog, ils ont été retravaillés pour une meilleure qualité.
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lundi 19 avril 2010

Vacances au Japon, courtoisie du volcan

Les tremblements de terre, les éruptions et les fréquents ouragans de l’archipel japonais n’ont jamais retardé les voyages de votre bien inconstant serviteur de plus d’une demi-journée. Et c’est à cause d’un volcan islandais et peut-être des administrations européennes que je suis bloqué depuis ce week-end dans les environs de Tokyo. Je devrais pouvoir rentrer dans une semaine en France, mais cela n’est pas certain.
Il n’est jamais agréable de voir ses plans contrariés, et les perturbations actuelles du transport aérien sont semble-t-il sans équivalent dans l’histoire moderne. Toutefois, dans l’échelle des contretemps, cette aventure n’est pas extrêmement grave : quelques centaines d’euros de faux-frais, et une semaine de congés payés pas vraiment prévue, mais que j’essaierai de rendre agréable et utile, par exemple en écrivant ici. C’est probablement moins grave que de se faire voler sa voiture, et certainement beaucoup moins ennuyeux qu’une grosse fuite d’eau à son domicile.
Je peux d’autant moins râler que le Japon propose un nombre important de services très pratiques à prix modéré qui permettent de gérer ce genre de situations : le "business hotel" qui m’héberge en plein centre de cette ville de 500.000 habitants propose des chambres doubles (équivalentes à un bon deux étoiles français) pour 9000 Yens (73 Euros), petit déjeuner abondant, nécessaire de toilettes, bouilloire pour le thé et connexion internet par câble haut débit compris. Le pressing coûte 300 Yens (2.50 Euros) par chemise pour une qualité impeccable. Toutes les gares proposent des consignes automatiques. Et l’on peut trouver partout des restaurants et traiteurs à bon marché, comme ce restaurant de soba que j’ai découvert à Tokyo où l’on mange un repas chaud et diététique pour environ 450 Yens (3.6 Euros). Pour une semaine, ce serait certainement lassant, mais l’on peut faire un voyage entier en prévoyant environ 1000 Yens par repas par personne. 6 jours au Japon dans des conditions confortables mais non luxueuses me coûteront donc environ 81600 Yens (665 Euros) pour deux personnes hors transports et loisirs, mais sourire compris. En France, dans une ville de Province équivalente, une prestations comparable mais probablement de qualité inférieure (*) reviendrait probablement à prêt de 1000 Euros, soit 50% de plus. Comparer des prix comme cela est toujours imprécis, mais l’expérience laisse l’impression que l’on en a plus pour son argent au Japon que dans notre beau pays. Ayant des attaches dans les deux pays, je réfléchirais sans doute longuement avant de m’installer dans l’un ou l’autre pays, et si je devais un jour monter mon entreprise, il est possible que je choisisse de partir avec mes idées au Japon ou ailleurs.
D’autant que la crise du volcan islandais a probablement révélé une autre faiblesse de notre vieux continent. Les cendres volcaniques sont certes dangereuses pour les moteurs d’avion. Il y a en particulier eu un incident en 1983 qui a provoqué l’arrêt de quatre moteurs d’un avion en Indonésie. Le contexte était aussi particulier, avec la mort du president polonais dans un accident d’avion quelques jours avant les perturbations actuelles. Toutefois, il n’y a eu à ma connaissance aucun accident majeur dû aux cendres volcaniques ayant entraîné des pertes de vie sur un vol commercial. Une fois sorti du nuage volcanique, les moteurs redémarrent en effet. Même un arrêt total des moteurs, si cela devait arriver, permettrait certainement aux avions au dessus de l’Europe de rejoindre une piste, un avion à 10000 mètres d’altitude pouvant planer sur plus de 100 kilomètres. La manœuvre n’est évidemment pas recommandée, mais c’est un élément de plus pour relativiser le risque.
Les vols de tests effectués hier dimanche par Air France et Lufthansa n’ont relevé aucune influence sur les avions, il est probable que le nuage de cendres au dessus de l’Europe, très dilué, n’ait pas provoqué d’incidents. Les services météorologiques, armées et directions de l’aviation civiles auraient pu probablement effectuer des mesures plus précises, pour définir des zones de faible danger dans lesquelles on pouvait faire transiter des avions, sans plus de risque que celui lié, par exemple, à un pilote distrait. Je ne suis évidemment pas spécialiste, mais j’ai une suspicion très forte que l’analyse de risque n’a pas été réalisée correctement, au nom d’un principe de précaution excessif.
J’ai vu également peu de solutions créatives mises en place, alors que les aéroports d’Afrique du Nord, ou du sud de l’Europe (tous à moins de 48 heures de la France en bateau ou en bus) ont pu rester ouvert. On aurait même pu imaginer des transferts en avion de transport militaire pouvant probablement supporter la poussière volcanique. Un ministre a bien évoqué des transferts en train depuis Moscou pour les passagers en Asie, mais 5 jours après le début des évènements, aucune de ces solutions n’est en place. Une connaissance se marie le week-end prochain en Europe avec son conjoint japonais, et je suis sûr que la famille japonaise aurait accepté de faire 2 jours de transfert en bus si nécessaire pour assister à cet évènement unique. Des commerciaux en route pour la négociation de leur vie étaient probablement prêt à un Palerme-Paris en train couchette pour être là à temps. Il y a certainement des contraintes logistiques qui font que certaines de ces alternatives sont de fausses bonnes idées. Mais en plus du principe de précaution, cela laisse l’impression d’une certaine paresse intellectuelle de nos politiques. Et tout ceci coûte cher : il faudra chiffrer précisément les impacts de la crise, mais les milliards envolés en avions et en hôtels vides ont aussi un prix en vies humaines.
Les incidents volcaniques de ces derniers jours sont aussi une bonne occasion de réfléchir sur la dépendance de notre société envers les avions à réaction, une technologie de pointe, qui a besoin du pétrole. Le transport aérien a une place plutôt marginale dans l’économie, et si l’on est en rupture de stock de mozzarella italienne ou de macarons “Made in France” au Japon, cela n’est pas très grave pour le tout-venant. Certains industriels peuvent être plus importunés si par exemple, une pièce de rechange devant voyager par avion bloque une machine importante dans une usine. Les communications, de leur côté sont à peine perturbées: avec Internet, on se soucie à peine que le courrier international n’arrive plus. C’est pour le transport de personne intercontinental que l’avion reste incontournable. Un homme politique visionnaire pourrait sans doute lancer le projet d’une ligne grande-vitesse trans-sibérienne qui donnerait une alternative aux voyages en avion plus lente, et probablement plus coûteuse, en tout cas tant que le carburant des voyages internationaux est détaxé (**). En attendant, les passionnés du Japon feraient bien de déposer des cierges devant les locaux de Rolls-Royce, d’Airbus et de Total qui leur permettent d’assouvir leur passion.
Annexes

J'ai découvert à l'occasion de mon retour en France un solution économique et pratique pour une dernière nuit au Japon avant un avion tôt le matin: L'hôtel Nikko de Narita (ホテル日航成田) propose des chambres doubles confortables à environ 10.000 Yens (86 Euros) la nuit, ainsi qu'un service de bus depuis la gare de Tokyo (départ 21:30 ou 23:45) ou Haneda (départ 21:00 ou 23:15) à 1500 Yens par personne (13 Euros) depuis Tokyo (les bus et le Narita Express coûtent environ 3000 Yens (26 Euros) sur la même distance). La réservation est possible en anglais sur le site ( http://www.nikko-narita.com/english/ ). Le détail du service de navettes de bus est disponible sur la page http://www.nikko-narita.com/access/bus_01.html (japonais uniquement)

(*) Estimation en France basée sur un 3 étoile entrée de gamme à prix discount à Nantes (90 Euros petit-déjeuner compris, + connexion internet 10 Euros / jour), deux chemises au pressing (5 Euros par pièce), un déjeuner dans une boulangerie (7 Euros / personne) et un diner dans un restaurant bon marché à 20 Euros par personne.

(**) si l’on applique les taxes en vigueur dans l’automobile (de l’ordre d’1 euro par litre) sur le carburant aérien, on obtient un surcoût de 600 Euros par personne par aller-retour avec le Japon en se basant sur une consommation de 3 litres au 100 km par passager.
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