dimanche 30 août 2009

Pourquoi nous sommes tous partis

Il y a un peu plus de cinq ans, j'étais salarié d'une entreprise japonaise, et j'habitais dans un appartement de la banlieue de Tokyo (東京). Je retrouvais certains soirs un petit groupe d'amis français aussi installés dans le pays. Nous étions jeunes, joyeux et de bonne volonté: nous souhaitions vraiment nous intégrer dans un pays passionnant et agréable à vivre. Pourtant, nous sommes rentrés plus tôt que prévu en Europe. De passage le mois dernier, j'ai diné à Ginza (銀座) avec le dernier encore présent. Il m'a annoncé qu'il revenait en France à la fin de l'été. Nous sommes donc maintenant tous partis du Japon, et voici pourquoi.
Pour certains, le pays n'était de toute façon qu'une escale souhaitée la plus courte possible. Tokyo comprend en particulier une large communauté de banquiers français spécialistes des produits dérivés, une branche élaborée de la finance que les établissements japonais pratiquent peu. La ville fait partie du parcours initiatique de la profession et n'a pas bonne réputation: Tokyo a moins de charme au premier abord que Paris ou New-York. Et sans parler japonais, les financiers restent confiné à la communauté anglo-saxonne centrée autour de Roppongi (六本木), avec ses magasins, ses restaurants et ses bars. Au travail, leur seul contact avec les locaux est la secrétaire japonaise qui a préparé le visa, trouvé leur appartement, et leur réserve parfois un taxi. C'est un petit monde dans lequel on étouffe vite, et les frustration se changent souvent en mépris pour le pays d'accueil.
Notre groupe comportait quelques banquiers. Toutefois, la plupart d'entre nous avions appris le japonais durant nos études, et étions volontairement venu au Japon comme expatriés ou chercheurs. Nous avons tous aimé la vie de jeune adulte à Tokyo: la ville est sûre, propre, et encore vivante même un dimanche vers 21 heures, les soirées en Izakayas (居酒屋), ces pubs japonais qui offrent une cuisine de bar variée bien arrosée à prix modiques, sont toujours sympathiques. Akihabara (秋葉原), le quartier de l'électronique, dispose des derniers modèles d'appareil photo à prix intéressants. Une grosse heure de train de banlieue vous amène dans des vallées de montagne reculées, au bord de la mer, ou dans un onsen (温泉). Tokyo est aussi une des premières étapes de toutes les tournées culturelles et musicales mondiales. Souvent, l'intégration dans la vie de son quartier se passe bien: j'avais raconté dans un récit précédent comment un voisin m'avait emmené chasser les pousses de bambous, et la plupart avaient des anecdotes similaires.
Nos journées en semaine étaient souvent plus difficiles. Les chercheurs n'étaient pas les plus à plaindre: le travail est souvent en anglais, et les sciences nécessitent moins d'interactions avec les collègues. Les postes d'enseignants semblent aussi poser moins de difficulté d'intégration. Toutefois, mes amis scientifiques avaient un statut précaire, et aucune possibilité d'évoluer vers l'encadrement, strictement réservés aux japonais. Ils s'en sont lassés de cela à un moment: après 5 ou 10 ans, la plupart ont préféré revenir dans des laboratoires ou des entreprises occidentales, souvent pour un poste de responsabilité.
Les expatriés évoluaient dans le monde des gaishikeis (外資系), les filiales d'entreprises internationales au Japon. Les employés y sont japonais, avec souvent quelques postes de responsabilité occupés par des occidentaux de la maison mère. Ces derniers ont souvent un contrôle très relatif de ce qui se passe dans leur entreprise, les japonais estiment, parfois à juste titre, qu'ils connaissent mieux le marché local, et n'ont souvent pas envie d'investir dans une relation avec ces dirigeants qui de toute façon repartiront au bout de deux ou trois ans. Jeunes cadres et ingénieurs, nous étions intégrés à des équipes principalement locales. Le travail à l'étranger n'est jamais facile, et nous ne parlions pas tous un japonais parfait. Néanmoins, nous passions la majorité de notre temps à gérer le choc culturel. Il fallait déployer une énergie incroyable pour ne pas être mis de côté, et n'importe quelle discussion devenait interminable. Les collègues occidentaux ayant étudié dans les universités japonaises et parfaitement bilingues étaient souvent confrontés au mêmes difficultés, la barrière n'était donc pas seulement due à la langue. La tension était souvent palpable dès l'arrivée au bureau le matin. Nous avions parfois le soutien des cadres dirigeants de l'entreprise, mais celui-ci est à double tranchant: il n'est jamais bon d'être le « fayot » de service. Et ce soutien n'est pas éternel. Le scénario classique est le suivant: un grand groupe envoie un dirigeant brillant au Japon pour transformer et mieux contrôler la filiale japonaise. Mais après deux ou trois ans de succès mitigés, ce dernier rentrera au pays, et on, laissera les japonais gérer leurs affaires eux-même. Dès que le dirigeant occidental aura mis le pied dans l'avion pour retourner au pays, les règlements de compte commenceront.
Jeunes hommes blancs pour la plupart, nous étions pour la première fois confrontés à des remarques racistes. Que celles ci viennent d'hommes âgés, souvent alcooliques, ne surprenait pas. Mais un nombre important de jeunes collègues ouverts et cultivés, ayant souvent étudié à l'étranger, avaient des réflexions similaires dès qu'ils avaient bu quelques verres, notamment le fameux « yappari Nihon ha ichiban やっぱり日本は一番» soit « le Japon est vraiment le premier ». Tout ceci est enrichissant, mais aussi très fatigant. Il vient aussi un moment où l'on souhaite progresser dans sa carrière, et il faut pour cela exercer son métier et développer ses compétences, pas passer son temps à négocier avec ses collègues japonais, et gérer le fossé culturel. Quand un chasseur de tête ou un ancien collègue resté en France appelle pour proposer une opportunité eu Europe, la décision de rentrer est souvent évidente, même si c'est toujours avec un petit pincement au cœur que l'on abandonne une vie quotidienne sympathique.

Les difficultés professionnelles sont sans doute au cœur des départs. Toutefois, même avec un bon travail, fonder une famille au Japon peut être effrayant pour ceux qui ne disposent pas de moyens financiers importants, C'est en particulier le cas de ceux qui ont un contrat de travail local sans avantages particuliers, qui devient la rêgle dès que l'on souhaite s'installer sur place: on ne peut être expatrié à vie. On pourra souhaiter que ses enfants aient une éducation française, mais le lycée qui offre cet enseignement est très onéreux. Si l'on accepte qu'ils fréquentent le système japonais, on aura souvent peur des histoires de violence scolaires (ijime - いじめ), y compris dans certains établissements du centre de Tokyo. De nombreux parents japonais préfèrent pour cela le privé. Et on peut aussi hésiter à faire subir à ses enfants les trois années de lycée qui sont peut-être plus intenses que les classes préparatoires françaises, et un passage obligé pour les enfants, et les parents, ambitieux. La retraite inquiète aussi: on cotise à la retraite publique dont on sent qu'elle est, avec la démographie en berne, à fond perdu. Il faudra donc penser à une retraite privée. Et si l'on investit dans une résidence principale, elle ne vaudra souvent plus rien, et sera même peut-être dangereuse 30 ans après: le bien ne pourra donc être revendu ou loué pour constituer un complément de revenu. Nous avons tous bien senti que notre vie éventuelle de parent et de retraité au Japon serait beaucoup moins agréable que la condition de jeune célibataire pour laquelle Tokyo est un paradis. Cela serait d'autant plus vrai que notre carrière stagnerait, ce qui nous semblait probable.
Il existe d'autres parcours au Japon: en particulier, de nombreux français et surtout anglo-saxons vivent de « petits boulots », le plus connu étant sans doute professeur de conversation. Ces derniers se contentent d'une existence de banlieusard peu fortuné, plus agréable au moins au début sur certains plans à Tokyo qu'en France. D'autres ont monté leur petite entreprise, et sont arrivés à se créer une petite situation. Mais malgré quelques exceptions, les exemples d'intégration réussies sont très rares, et nécessitent de sortir des sentiers battus. Parmi la quinzaine de membres de mon groupes d'amis, tout le monde est reparti. Peut-être avons nous préféré quitter le Japon "en bons termes" plutôt que nous contraindre à un séjour difficile qui nous aurait certainement rendu aigri envers notre pays d'accueil.
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dimanche 16 août 2009

Quand la terre tremble

Les habitants de Tokyo (東京) vivent dans la peur d'un tremblement de terre majeur qui ferait certainement des dégâts énormes. Mais c'est dans la region de Shizuoka (静岡) au pied du Mont Fuji (富士山) que votre serviteur a vécu un tremblement de terre significatif lors d’une sortie avec un groupe d'amis japonais. Mardi matin (11 août), vers 5 heures, nous avons été réveillé par les une forte secousse verticale suivie de tremblements longs et suffisamment forts pour faire tomber des objets posés sur une table. Ces mouvements sont accompagnés de grincements souvent plus inquiétants que la secousse. Nous étions mal réveilles et relativement rassurés par l'hôtel récent dans lequel nous nous trouvions. Mais la minute que dure le séisme est suffisamment longue pour s’inquiéter des membres de sa famille dans un endroit moins sûr, et même un peu de ces assiettes fragiles entreposées de façon bien imprudente sur le bord de la table à la maison.
Pour ceux qui sont chez eux, le premier réflexe est de couper le gaz, puis d'aller se mettre à l'abri dans un endroit qui ne craint pas les chutes d'objet, en priant pour que le bâtiment ne s'écroule pas. Tout le monde n'est en effet pas égal devant les séismes. Les personnes âgées habitent souvent des maisons en bois qui datent de leur mariage il y a une cinquantaine d'années. Les appartements en préfabriqués bon marchés (アパート) dans lesquels les jeunes et les plus modestes habitent souvent sont aussi plus exposés, les grandes structures modernes récentes (hôtels et bureaux) sont en principe sûres.
Dès la fin de la secousse, la télévision diffuse immédiatement des informations sur le séisme, et en particulier sur les risques de raz de marée. Dans ce cas, les risques étaient faibles, et l'amplitude du tremblement de terre relativement importante sans être catastrophique (6.5 environ). Puis, tout le monde a appelé ou envoyé des SMS à sa famille pour vérifier que tout allait bien. Ensuite, comme il n'a pas été donné de signes d'évacuation de l'hôtel, tout le monde s'est rendormi.
Au réveil, nous en avons appris plus sur les dégats. Le plus important est un glissement de terrain qui a emporté une des voies de l'autoroute Tomei (東名高速道路) reliant Tokyo à Nagoya, la plus importante du pays, quelques jours avant le grand chassé-croisé de l'été japonais. Il y a eu également quelques alertes au gaz dans le centre de Shizuoka, et quelques milliers de foyers privés d'eau pendant quelques jours. Les plus prudents avaient suivi la coutume qui veut que l'on ait toujours de l'eau chez soi, en gardant par exemple sa baignoire pleine en permanence. De façon plus anecdotique, un pan du mur d'enceinte du château de Sunpu (駿府城) dans la même ville s'est écroulée. Il semble que ces murs, souvent reconstruits, ne soient pas aussi solides qu'ils en aient l'air. Dans les jours suivants, car il faut du temps pour évaluer les dégâts quartier par quartier, nous avons appris que quelques milliers de maisons ont subi des dommages allant jusqu'à la chute des tuiles du toit. La plupart des magasins sentaient l'alcool car de nombreuses bouteilles en verre n'ont pas résisté aux secousses. Quelques cavistes ont vu toutes les marchandises exposées détruites. Il y a eu environ deux cents blessés et un mort dont la cause semble liée au séisme. Sans doute plus impressionnant, le tremblement de terre fut finalement moins destructeur que les inondations dans l'arrière-pays de Kobe (神戸) la semaine précédente, et causées par un petit typhon(台風) se déplaçant lentement, et donc provoquant des pluies trop longues.
Nous devions ensuite prendre le train rapide (Shinkansen 新幹線) pour rejoindre l'ouest du Japon. Ce service est légendaire pour sa ponctualité, et l'on peut d'habitude régler sa montre à la seconde près sur l'arrivée des trains en gare. Il a cependant bien fallu faire les vérifications nécessaires sur la ligne, et le service n'a repris que vers midi sur la ligne avec quatre heures de retard sur l'horaire. Nous sommes arrivés en gare vers 14 heures, et avons attendu une demi-heure qu'un train arrive. Nous avons failli trouver une place assise, mais sommes finalement resté debout jusqu'à notre gare de correspondance. A notre arrivée, nous nous sommes rendus au guichet où l'employé nous a remboursé une partie du prix du billet en s'excusant très poliment de nous avoir obligé à voyager debout.
Le soir du 15 août, l'autoroute est enfin réparée, après que les travaux aient pris plusieurs fois du retard, le terrain étant plus meuble que prévu. Pour la plupart des habitants de la région, ce séisme a rendu plus concret le risque de tremblement de terre que tout le monde connait. Beaucoup ont sans doute passé du temps à fixer les placards et étagères, ainsi qu'à coller du film plastique transparent sur les vitres. Celui-ci empêche le verre brisé de tomber, et limite les risques de blessure. Le mur du château, lui, sera reconstruit plus tard. Notre hôtel a de son côté rajouté bien en vue sur sa page internet des explications sur la résistance exceptionnelle de son bâtiment au séisme, un retour aux affaires bien rassurant.
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